A timeless intergenerational friendship

Zoé nous accueille à la sortie de l’ascenseur du 2^e étage du CHSLD. On devine sa joie qui s’étire dans un large sourire derrière son masque sanitaire. Elle avait hâte qu’on arrive pour nous présenter Yvon, son Grand Ami qui appartient à l’équipe Déficits Cognitifs des Petits Frères de Montréal.

On la suit jusqu’à la chambre dans laquelle règne comme un roi de la bonne humeur, « son » Yvon allongé dans un grand lit, vêtu de sa cape de souverain à l’envers; une jaquette bleue relâchée, les cordons détachés qui pendouillent sur ses épaules. Il sourit, ce qui fait ressortir tous les bonheurs de sa vie coincés dans les plis de ses yeux.

Il accepte de nous laisser prendre de son précieux temps de rencontre avec « sa » Zoé pour la durée de l’entretien. Aussitôt, la valeur de ces minutes d’intérêt pour l’histoire de leur rencontre, débitée à l’inestimable possibilité d’un souvenir de plus à investir dans leur amitié, donnant ainsi du crédit à l’instant éphémère, fait jaillir en nous un sentiment de culpabilité. Un regret, même. L’envie de faire vite. Miser sur l’essentiel. Épargner les pertes de temps. Profiter de cette évidente complicité entre Yvon et Zoé.

Elle venait d’arriver au Canada depuis la France. Ayant été très proche de sa grand-mère restée derrière, elle avait souhaité s’intégrer dans sa communauté d’accueil par le biais du bénévolat auprès des personnes âgées. Une façon d’alléger le poids de l’exil, de combler l’ennui ou le manque d’un être cher. Une façon de se créer une famille. Et qui de mieux que nos aînés, leur sagesse et leur expérience, pour nous permettre de comprendre la société dans laquelle on vit, l’ayant eux-mêmes construite.

Depuis décembre 2018, Zoé est bénévole auprès d’Yvon. C’était pratique, il vivait tout près de chez elle à l’époque, ce qui lui permettrait de lui rendre visite à pied. De plus, Yvon lui permettait de comprendre l’accent et les expressions québécoises encore toutes neuves à son oreille. Même qu’Yvon pour Zoé était et demeure, une porte d’entrée à la culture québécoise. Entre autres, Yvon peut nommer tous les noms d’anciens joueurs du Canadien de Montréal, leurs exploits, les meilleurs buts en saison. Comme il est un policier à la retraite, il connaît tous les parcs de Montréal et leur histoire. Ça aussi c’est pratique. Et ce qui est pratique pour Yvon, c’est qu’il aime les « Françaises ».

Ils ont tous les deux des passions qui les rendent complices et attachants l’un pour l’autre : les chats, les westerns, les parcs et les pommes. À chaque visite, il y a un rituel sacré auquel ils s’adonnent et se réjouissent; croquer des pommes. Zoé ne manque jamais une occasion de se rendre au chevet d’Yvon avec un sac de pommes bien juteuses et fermes qu’ils croquent à belles dents!

Et puis, il y a les albums photos qu’ouvre Zoé, assise près d’Yvon, sur le bord du lit. En tournant les pages, des images défilent sous nos yeux pendant qu’Yvon enfile les histoires qui émergent de chacune d’elles formant ainsi, au fil de ses mémoires, une boule de nostalgie.

Ils sont beaux tous les deux. On en oublie le jumelage, le bénévolat, l’isolement, la mission des Petits Frères… On témoigne de l’essence d’une relation humaine : l’attachement. L’un de ces traits d’union qui forment un tout composé d’Yvon et de Zoé.

Et lorsqu’on leur demande « quel événement marquant se distingue de leur relation », Yvon écarquille les yeux, étonné et songeur à la fois, tandis que les joues de Zoé s’empourprent d’émoi et de pudeur… On comprend vite que cette question touche directement les émotions profondes, l’essentiel des sentiments, de ces états de conscience qui touchent l’âme. Zoé émet un rire nerveux suivi d’un silence… À cette question, nous n’avons pas obtenu tout de suite la réponse. Jusqu’à ce que nous ayons quitté les lieux, laissant les amis complices se re-composer à nouveau, Zoé nous envoie sa réponse à cœur reposé : « Nous avons créé au fil des années un univers partagé que nous avons peuplé de petits rituels (arroser notre plante, regarder les albums photos, énumérer les légumes et fruits de saison!). Notre amitié est composée de moments très simples et heureux. S’il n’y a pas un événement marquant dans notre relation, c’est que celle-ci est magique, qu’elle est une petite bulle de réconfort et de stabilité qu’on a su créer au fil des années, ce moment, chaque semaine, hors du temps. Peu importe les aléas du monde, Yvon m’accueillera avec son inaliénable sourire. La vie d’Yvon demeure toujours entourée de bien des mystères pour moi, et parfois au détour d’une visite je découvre, comme une petite pépite d’or, un nouveau pan de sa vie. Une vie, qui clairement n’a pas été facile, marquée par la perte de très nombreux êtres chers. Et pourtant toujours ce sourire et ces éclats de rire! À chaque fois que je franchis sa porte. Eeehhhh Zoé, entrez! »

Merci à vous, Yvon et Zoé, pour ce doux partage et ce laissez-passer sur la voie de votre amitié. Vous nous avez permis de faire quelques détours dans nos pensées les plus admiratives, se rappeler que de toutes les aventures, les voyages, les rencontres, ce n’est pas le but ou la destination qui compte, mais bien le chemin à prendre à chaque instant, hors du temps, chaque sourire, silence, musique ou bouchée de pomme.

Chaque seconde passée à deux.